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1 août 2017

L'insolvabilité des entreprises s'applique désormais aussi aux architectes

Les architectes qui ne parviennent pas à payer leurs dettes pourront prochainement être déclarés en faillite mais pourront également bénéficier d’une protection accordée par le tribunal.

par Raphaël Gevers et Frédéric Couvreur, avocats associés (DALDEWOLF)

Les titulaires de professions libérales, dont les architectes, risquent de voir d’un œil inquiet les modifications annoncées du Code de droit économique. L’insertion d’un nouveau Livre XX relatif au droit de l’insolvabilité aura pour eux des répercussions très importantes : les architectes pourront désormais être déclarés en faillite !

Tout architecte est une entreprise au sens du droit économique

Le législateur a en effet estimé que la distinction entre commerçant et non commerçant devait aujourd’hui disparaître au profit de la notion plus moderne et plus large d’entreprise. Le futur Livre XX du Code de droit économique considère que les titulaires de professions libérales réglementées (architectes, géomètres, médecins, dentistes, kinés, vétérinaires, avocats, notaires, huissiers, comptables, réviseurs, etc.) sont des entreprises et qu’ils rentrent donc désormais dans le champ d’application du droit de l’insolvabilité, au même titre que les personnes physiques exerçant une activité commerciale en qualité d’indépendant ou que les sociétés à objet commercial.

Concrètement

Quelle incidence concrète cela a-t-il pour les architectes ? Cela signifie que :

  1. Ils pourront être déclarés en faillite si le tribunal estime que les conditions sont réunies. Pour rappel, toute audience en matière de faillite est publique et le jugement de faillite est publié au Moniteur belge.
  2. Préalablement à toute faillite, ils pourront également faire l’objet d’une convocation par la chambre d’enquête commerciale du tribunal de commerce si des indices de difficultés financières et économiques sont portés à la connaissance de la chambre d’enquête (par exemple : le non-paiement d’un trimestre de cotisations ONSS, TVA, précompte professionnel et Inasti). La procédure devant la chambre d’enquête commerciale est confidentielle.
  3. Ils pourront solliciter et obtenir une procédure de réorganisation judiciaire (PRJ) leur permettant de se mettre sous la protection du tribunal de commerce à l’égard de leurs créanciers si des difficultés menacent leur continuité, c’est-à-dire essentiellement s’ils ne parviennent plus à faire face au paiement de leurs dettes. Il peut s’agir d’une PRJ par accord collectif, qui consiste à négocier un plan de remboursement avec l’ensemble des créanciers impayés et qui prévoit des délais de paiement et des réductions éventuelles de créances. Il peut également s’agir d’une PRJ par transfert sous autorité de justice qui est une alternative à la faillite et qui doit permettre, mieux que cette dernière, de sauvegarder les activités du titulaire de la profession libérale en vue de les céder à un repreneur.

Les besoins en financement (parfois lourds) de l’activité d’architecte

Nul besoin d’être alarmiste mais il convient d’être pleinement informé sur les conséquences et les avantages de cette future loi. Connaître une faillite n’est pas agréable, loin s’en faut, même si elle n’a plus le caractère infâmant qui l’accompagnait dans le passé. La nouvelle loi permet surtout au tribunal de monitorer tout architecte qui peine à payer l’ensemble de ses créanciers. Imaginez que vous ayez dû contracter un financement important en vue d’acquérir du matériel coûteux (par exemple, un logiciel de conception assistée) ou que vous employiez plusieurs collaborateurs, dessinateurs et secrétaires dans votre bureau. Si, comme cela peut arriver à tout architecte à un moment donné, les commandes de clients se font plus rares et que vos recettes diminuent d’autant ou que votre encours clients augmente, le règlement des échéances mensuelles de votre financement peut accuser du retard. De même, le développement et la conception de projet à risque et le report dans le temps du paiement des honoraires sont de nature à fragiliser davantage la situation financière de l’architecte, ce dernier supportant une partie du risque du promoteur. L’effet boule de neige est ensuite fréquent : afin de favoriser certains créanciers (souvent les fournisseurs incontournables), on en laisse d’autres sur le bord de la route en espérant qu’ils voudront bien patienter. Si la pression des créanciers devient (ou risque de devenir) inconfortable, la nouvelle loi permettra à l’architecte de solliciter la protection du tribunal afin d’éviter toute initiative désagréable d’un créancier impayé (saisie, etc.) et de négocier, avec l’ensemble des créanciers, un plan de paiement étalé sur cinq ans maximum ainsi que d’éventuels abattements d’une partie des créances.

Quel timing ?

Le Conseil d’Etat, dans son avis du 13 février 2017 sur l’avant-projet de loi, a formulé diverses observations sans cependant inviter le législateur à modifier les articles relatifs à l’extension du droit de l’insolvabilité aux titulaires de professions libérales. La Chambre des représentants a ensuite adopté le 13 juillet 2017 en séance plénière le projet de loi. Il est prévu que celui-ci entre en vigueur au plus tard le 1er mai 2018.

Mieux vaut soigner les fondations

Nul doute que les architectes seront particulièrement attentifs, demain plus qu’hier, à la gestion équilibrée de leur activité, scrutée par le tribunal et les créanciers, au risque, pour certains, d’une faillite en cas d’insolvabilité irréversible. Mieux vaut donc être vigilant et apporter un soin particulier aux fondations de votre activité. Au regard de la nouvelle loi, cette image s’applique avec la même pertinence : il est souhaitable que les architectes, entourés de leur comptable et avec l’aide d’un avocat spécialisé en cette matière, prennent la pleine conscience des chiffres relatifs à leur activité. En cas de difficulté, une réaction anticipée et adéquate a toutes les chances de constituer le remède le plus efficace.

Raphaël Gevers, Avocat associé Cabinet DALDEWOLF / Maître de conférences invité UCL

Frédéric Couvreur, Avocat associé Cabinet DALDEWOLF / Juge suppléant au tribunal de commerce francophone de Bruxelles

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